NEAR, un rendez-vous galant avec Éros
Article de presse (fév. 2000) Enfin ! Avec un an de retard sur le calendrier initial et quelques péripéties (voir article de fév. 1999), NEAR arrive en vue de l'astéroïde Éros. Quatre ans après son lancement, la sonde américaine amorce son approche finale. Le rendez-vous est fixé pour le 14 février, jour de la Saint-Valentin. Tout un symbole ! Voila des années, quatre ans exactement, qu'elle lui court après. Le 14 février, si tout se passe bien, la rencontre aura lieu à 256 millions de kilomètres de la Terre et à 220 millions de kilomètres du Soleil. La sonde NEAR, partie de la Terre le 17 février 1996, a rendez-vous avec l'astéroïde 433 Éros, un très gros caillou échappé de la ceinture principale d'astéroïdes, qui erre à proximité de la Terre. La première tentative, le 10 janvier 1999 fut un échec. Mais la sonde, tenace, persévère, bien décidée à faire la cour à l'élu de ses instruments. La mission américaine NEAR (Near Earth Asteroid Rendezvous) ne saurait rater un aussi beau prétendant, surtout le jour de la Saint-Valentin. La rencontre est réglée, en principe, comme du papier à musique. Le 2 février, l'un des moteurs de la sonde s'allume à quelques 20 000 km d'Éros. En quinze minutes, elle perd le tiers de sa vitesse relative initiale et passe de 975 à 313 m/s. Six jours plus tard, le deuxième allumage du moteur la ralentit encore jusqu'à 30 m/s. Puis le 14, une dernière manœuvre permet d'atteindre la vitesse d'approche idéale, estimée à 8 m/s. NEAR se met alors en orbite autour d'Éros. Le ballet amoureux peut alors commencer. Arrivée à 1000 km de distance, notre courtisane se trouve peu à peu attirée par la force gravitationnelle de l'astéroïde. Afin d'écarter tout risque de collision, son orbite est maintenue à une altitude comprise entre 500 et 336 km. Mais, dès que la force d'attraction d'Éros sera mieux connue, la sonde pourra s'approcher à 50 km, puis 36, voire moins. "Le 14 février, quelques heures à peine avant que la sonde n'entre dans la phase critique de mise en orbite, elle analysera les spectres infrarouges d'Éros dans des conditions optimales d'éclairage, s'enthousiasme Andrew Cheng, directeur du programme scientifique NEAR au laboratoire de physique appliquée de l'université John Hopkins (Maryland). Eclairée par le Soleil, la surface ne sera obscurcie par aucune ombre. C'est la première fois que de telles mesures sont possibles. "Voila toute l'originalité de la mission. À partir du 14 février et durant un an, NEAR, curieuse, scrutera l'astéroïde sous toutes ses coutures. Aucun secret de sa structure ne résistera à ses instruments. Désireuse mieux de connaître son "Apollon", elle dressera une carte complète de l'objet céleste, analysera sa composition minéralogique, isotopique et physico-chimique, son champ magnétique éventuel et dévoilera sa masse réelle. Bien qu'il s'agisse d'un rendez-vous galant, les deux corps ne devront à aucun moment tenter de s'embrasser. C'est la raison pour laquelle les ingénieurs ont opté pour une orbite rétrograde. La sonde tournera dans le sens inverse de la rotation d'Éros. Premier avantage de cette danse à contre temps : NEAR ne pourra pas être éjectée de l'orbite ou, au pire, être attirée par l'astéroïde et se crasher. "L'orbite rétrograde permet également d'éviter les perturbations et lisse les anomalies de la surface d'Éros, ajoute Jean-Pierre Barriot, ingénieur du Cnes, impliqué dans les expériences de radio-science embarquées sur NEAR et Rosetta. Elle permet aussi de s'approcher, autant que possible, d'un champ de gravité sphérique". Enfin, elle offre l'avantage d'une certaine stabilité et permet d'économiser du carburant. Pas question de laisser la sonde sans chaperon. Les ingénieurs au sol surveilleront et corrigeront ses moindres mouvements, avec un léger différé de 30 à 60 minutes. Une fois en place, la sonde enverra chaque jour toutes les données au Deep Space Network (DSN) de la Nasa, par l'intermédiaire d'antennes terrestres. Ces informations seront ensuite transmises pour analyse au Science Data Center (SDC), à l'Université John Hopkins. C'est lui qui, en temps réel, répartira les données brutes entre les différentes équipes scientifiques, en fonction de leur domaine de compétence. Le public ne sera pas oublié pour autant : ces données seront accessibles gratuitement sur Internet (2). Toues les passionnés disposeront des photos d'Éros au jour le jour, avec une résolution 200 fois supérieure à celle des images du survol de 1999. "Pour la première fois, un satellite artificiel sera en orbite autour d'un astéroïde. Et la Nasa se devait d'être pionnière, constate Denis Moura, chef de projet au Cnes de la partie française du programme Rosetta. Mais c'est une expérience facile de télédétection (images et radars) et d'un moindre coût [environ 1 milliard de francs français contre 3 pour Rosetta]. Au niveau technique, elle ne représente pas d'avance significative". Malgré tout, cette mission permettra d'en savoir davantage sur ce corps errant dans l'espace à proximité de la Terre. Les géocroiseurs, ou NEA (Near Earth Asteroids), ont peut-être joué un rôle fondamental dans la formation des planètes du Système solaire. De nombreuse traces d'impact ont été découvertes sur Terre et on ne sait pas encore très bien de quelle manière les NEA ont participé à l'évolution de l'atmosphère et de la biosphère terrestres. De plus, qu'il s'agisse d'astéroïdes ou de comètes, ce sont pour la plupart des témoins vivants de la naissance de notre système planétaire. A ce titre, ils pourraient nous apporter des informations précieuse sur notre passé le plus lointain. Enfin, ce rendez-vous permettra certainement de répondre à des questions controversées dans la communauté scientifique : les astéroïdes sont-ils des comètes dégazées, des morceaux de planètes arrachés par de violents impacts météoritiques ou encore des résidus d'accrétion ? Autant d'interrogations auxquelles les scientifiques tentent de répondre depuis qu'Éros a été découvert en 1989. Il est le premier NEA à avoir été identifié, repéré simultanément aux observations de Berlin et de Nice. Mais l'instrumentation de l'époque ne permet pas de connaître avec précision ni sa taille, ni sa composition, et encore moins sa densité. En revanche, sa trajectoire indique à quelle famille il appartenait. Il est classé dans la catégorie Apollo : les astéroïdes qui croisent l'orbite martienne mais n'atteignent pas celle de la Terre. Ce n'est qu'en 1975 qu'Éros daigne s'approcher de notre planète, à la distance respectable de 22 millions de kilomètres. Profitant de cette relative proximité, les astronomes lancent une campagne mondiale d'observation. Ils analysent notamment les spectres ultraviolet, visible et infrarouge du bolide céleste. Sa forme est enfin connue : celle d'un patatoïde. Sa surface est couverte de régolite, une couche poussiéreuse, résultat d'impacts plus ou moins récents. Selon les premières mesures, ses dimensions sont estimées à 40 x 14 x 14 km. Il effectue une rotation en 5,3 heures et son albédo est de 0,16. Cette indice de réflexion de la lumière, donnée très importante, permet de connaître sa composition minéralogique. Celui d'Éros, relativement élevé, indique qu'il s'agit d'un astéroïde silicaté. Comme environ 30 % de ses congénères, Éros est composé de roches (pyroxènes et olivine) et de métal (fer et nickel). Mais en 1975, la distance d'observation est trop importante. Pour en apprendre davantage sur les astéroïdes, il faut s'en approcher au plus près. En la matière, la sonde Galileo permet une grande avancée. En effet, sur la route de Jupiter, elle croise Gaspra en 1991, à une distance de 1600 km. Deux ans plus tard, c'est au tour d'Ida et --découverte inattendue-- de son petit satellite, Dactyl. En juin 1997, NEAR prend le relais, en frôlant Mathilde, à 1212 km de distance. Premier enseignement : il s'agit d'un astéroïde de type C. Ce n'est pas tout : "La plus grande surprise a été sa faible densité, 1,3 g/cm3, remarque Jean-Pierre Barriot. Cela nous a permis de confirmer que c'est un corps ou un agglomérat très poreux. L'étude des cratères va aussi dans ce sens : Mathilde serait assez mou, comme une boule d'argile." Le 23 décembre 1998, une deuxième étape est franchie lorsque la sonde survole Éros à quelques 3830 km de distance. Une série de 200 images permet enfin de savoir à quoi il ressemble. Résultat après cinq heures de survol : ses dimensions sont revues à la baisse, soit 33 x 13 x 13 km. Les astronomes remarquent deux cratères de 8,5 et de 6,5 km de diamètre. La moisson scientifique est toutefois bien maigre, du fait de l'échec de la mise sur orbite de NEAR. Le 20 décembre, l'un des moteurs a refusé de fonctionner. "C'est un problème de logiciel qui est à l'origine de la défaillance du moteur, explique Andrew Cheng. Nous avons réussi à le remettre en service en janvier, mais nous avons perdu 30 kg de carburant. C'est la raison pour laquelle nous avons été obligés de reporter le rendez-vous à février 2000." Une phase orbitale dont on attend de nouvelles surprises : "Éros n'aurait pas une densité homogène. Certaines parties auraient une densité de 2,5 à 3 g/cm3 ; d'autres atteindraient les 6 à 8 g/cm3, avance Jean-Pierre Barriot. Si NEAR confirme que des zones sont plus denses que d'autres, il se pourrait qu'Éros ne soit en fait qu'un petit morceau d'un corps parent." C'est à cette question essentielle que les expériences de radio-science tenteront de répondre. Grâce au transpondeur (3), la densité de la structure interne sera alors connue avec précision. Éros dévoilera un peu de son intimité, Saint-Valentin oblige. Reste à espérer que ce nouveau rendez-vous se déroule sans anicroches. Dans ce contexte, et au regard des récents échecs des missions martiennes, on ne peut se demander si la stratégie du "mieux, plus vite et moins cher" de la NASA, est vraiment plus efficace. En effet le nouveau cahier des charges de l'agence spatiale américaine exige trois ans maximum d'études --de la conception à la réalisation des modules d'exploration-- afin de réduire les coûts. De plus, pour obtenir les crédits nécessaires, la NASA serait tentée de donner la priorité à des missions spectaculaires au détriment parfois de l'intérêt scientifique. Mais après tout, la célébration de la Saint-Valentin entre NEAR et Éros nous réserve peut-être certaines surprises. La cour galante pourrait se transformer en une union durable. Puisque la sonde ne rentrera pas sur Terre, pourquoi ne pas la faire "surfer" sur Éros ? "Selon moi, une approche au plus près, voir un atterrissage, est tout à fait possible en fin de mission, se met à rêver Andrew. Mais pour l'instant aucun décision n'a été prise. Nous verrons le moment venu". Une question est tout de même sur toutes les lèvres à propos du programme Discovery (découverte de l'environnement spatial proche), dont NEAR est la première mission : la NASA aurait-elle perdu de sa superbe et sur ses ambitions ? "D'une manière générale, les missions Discovery (Mars Pathfinder et Lunar Prospector), largement amputées, ne sont pas d'un intérêt scientifique de premier ordre. Pour qu'elles le soit, il faudrait beaucoup d'astéroïdes de types différents pour avoir accès à leur diversité, pense Denis Moura. Puisque la sonde ne se pose pas, il ne s'agit pas d'une mission phare." Quoi qu'il en soit, la NASA se bat pour conserver ses crédits et surtout sa crédibilité. Elle se doit d'avoir en permanence une parfaite transparence vis-à-vis du Congrès comme de l'opinion publique. Et, le rendez-vous avec Éros le jour de la Saint-Valentin n'est certainement pas étranger à ces préoccupations très ... terre à terre. Djamel Bentaleb
(1) Voir sur ce site : NEAR a manqué son rendez-vous (fév. 99)(2) http://near.jhuapl.edu.(3) Cet instrument de Near émettra des ondes radio à travers l'astéroïde et enregistrera les échos en retour. On observe alors comment varient les fréquences par rapport au signal radio original.
Liens : En anglais : L'actualité de NEAR : http://near.jhuapl.edu/Sur ce site : Description et images de la sonde NEAR Les premières images prises par NEAR : Éros Les astéroïdes, dont Éros Documents consacrés aux astéroïdes Description et image de la future sonde Rosetta Retour page d'accueil ou vos messages |