Waterworld

Sur une lune de Jupiter, des signes intéressants comme quoi la surface de glace cacherait un vaste océan extraterrestre se font jour. La vie peut-elle se cacher presque à notre porte ?

Par Gabrielle Walker

 

Où il y a de l'eau, il y a de la vie. Chez les astrobiologistes, c'est presque un mantra. Sur Terre, ils le font remarquer, nous avons trouvé de la vie qui prospère dans une chaleur cuisante et un froid terrible, une lumière intense et une profonde obscurité. Tant qu'il y a de l'eau liquide, les êtres vivants trouveront une voie. Et ce qui est vrai ici pourrait très bien l'être n'importe où dans l'Univers. Vous voulez une vie extraterrestre ? Alors recherchez de l'eau extraterrestre.

C'est pourquoi les astronomes du monde entier peinent à décrocher même la plus faible trace cosmique du précieux liquide. Peut-être y a t il des oasis miniatures dans les déserts gelés de Mars, chauffés du dessous. Peut-être trouverons-nous des planètes orbitant comme la Terre, à juste la bonne distance de leur étoile, pour permettre à l'eau de couler (voir article à venir).

Et peut-être il y a t il un parfait océan extraterrestre comme nous pouvons en trouver sur Terre. Un, de plus, qui contient assez d'eau pour remplir tous les bassins océaniques de la Terre et même plus. Cela semble peu plausible ? Non. Au-dessous de la croûte de glace d'une des lunes de Jupiter, Europe, des signes se font de plus en plus jour de la présence d'assez d'eau pour combler les rêves les plus fous des astrobiologistes. "Toutes les observations concordent si vous avez un océan profond sous la glace," dit Mike Belton de l'Observatoire de Kitt Peak à Tucson, qui dirige l'équipe d'imagerie de Galileo-- la sonde qui étudie Jupiter et ses satellites.

La NASA est actuellement en train de monter une nouvelle mission qui poursuivra les observations de Galileo et déterminera si l'océan existe vraiment. Si cela se fait, une sonde sera envoyée à la surface d'Europe pour tester la chimie de la glace. Et si cela est encourageant, une autre mission sera envoyée pour percer au travers de la croûte de glace et entrevoir si de quelconques créatures peuvent se cacher en dessous.

Légèrement plus petite que notre Lune, Europe est cinq fois plus loin du Soleil. Sa température de surface est à un ­145 °C frigorifiant, mais il y a toujours la possibilité que la croûte froide puisse cacher quelque chose de tout compte fait plus luxuriant. Les rayons du Soleil peuvent être faibles sur Europe, mais la gravité de Jupiter ne l'est pas : avec ses puissants effets de marée, Jupiter pétrit à distance l'intérieur du satellite, l'échauffant en le pressant et en l'étirant.

Les hypothèses comme quoi cela pourrait suffire pour faire fondre la glace sous la surface apparurent dans les années 1970, lors du survol de Voyager. La sonde découvrit une surface qui était marquée partout par de mystérieuses lignes, mais qui ne comportent presque aucun cratère. C'était curieux, parce que les débris de l'espace devaient "pleuvoir" de façon régulière. Le manque de cratères impliquait une surface que se renouvelait elle-même de façon continue à partir du dessous, et les lignes suggéraient également la présence de quelque chose de mobile sous la croûte. Mais les images n'étaient pas assez détaillées pour permettrent aux scientifiques d'être sûrs : peut-être y avait-il des cratères justes assez petits pour que les yeux de Voyager ne puissent les voir.

Puis presque deux décennies plus tard, Galileo arriva. Avec sa vue plus pénétrante, elle confirma, à partir de la faible densité de cratères, que des parties de la surface d'Europe n'ont simplement que 10 millions d'années. Bientôt d'autres preuves affluèrent.

D'abord vinrent les "icebergs" annoncés en fanfare en 1997. Europe, semble-t-il, est marquée par des régions à dallage irrégulier, où la glace s'est cassée en blocs plats qui ressemblent aux grands icebergs tabulaires de l'Antarctique. "Ils ont dérivé loin de l'endroit d'où ils sont partis" dit Belton. "Mais ils s'assemblent ensemble comme les pièces d'un puzzle". Entre les icebergs il y a une matrice de mystérieuse glace rouge sombre, gelée aujourd'hui, mais sûrement chaude et molle quand les blocs de glace se cassèrent et se mirent à errer.

Et puis, il y a le magnétisme. Le champ magnétique intense de Jupiter balaye continûment Europe, et Galileo repéra des signes comme quoi le satellite répond avec un faible écho magnétique dans le sens opposé au champ de Jupiter. Pour que cela arrive,
dit Margaret Kivelson de l'UCLA, un autre membre de l'équipe Galileo, le champ magnétique de Jupiter doit générer des courants électriques à l'intérieur d'Europe, qui en retour créent leur propre champ magnétique. L'année dernière, elle et ses collègues publièrent un article dans Nature (vol 395, p 777) montrant que le champ prend une signification parfaite si une coquille conductrice se trouve juste quelques kilomètre sous la surface d'Europe. Et les mesures du champ gravitationnel du satellite montrent que cette glace --ou quelque chose d'à peu près aussi léger--s'arrête 100 kilomètres avant que la roche solide ne reprenne. Alors Kivelson et ses collègues conclurent qu'ils avaient vu là les effets électriques d'un océan liquide salé.


Pendant de temps, quelque chose d'étrange commença à émerger. Plongés dans les images de Galileo, les chercheurs repérèrent des signes comme quoi la croûte d'Europe est en train de tourner à une vitesse différente de celle de l'intérieur. Les grandes lignes globales d'abord vues par Voyager, s'avérèrent être des failles qui s'étendent sur des centaines de kilomètres. D'abord, elles apparaissaient comme un fouillis complexe. Mais rapidement il devint clair que les plus récentes d'entre elles --celles qui coupent à travers d'autres formations-- ont tendance à être d'un terne rouge sombre, la même couleur que celle de la glace autour des icebergs, tandis que les plus anciennes sont progressivement plus brillantes. Quand l'équipe de Galileo se servit de cela pour démêler les craquelures et suivre leur progression en fonction de l'age, ils trouvèrent exactement le motif de tortillons et de courbes qu'ils auraient été en droit d'attendre si une peau de glace externe étaient en train se glisser sous l'intérieur d'Europe.

La peau ne pouvait être en train se déplacer sur de la roche dure. Elle glisserait sur quelque chose de beaucoup plus doux--quelque chose comme de l'eau. Intriguée, l'équipe rechercha des signes plus révélateurs. Comme notre Lune et la plupart des autres satellites dans le Système solaire, Europe est bloquée par rapport aux effets de marée : Elle tourne sur elle-même et elle orbite autour de sa planète à la même vitesse, montrant ainsi toujours la même face à Jupiter. Et également comme notre Lune, Europe supporte deux excroissances résultant de l'effet de marée, une faisant face en permanence à Jupiter et l'autre diamétralement opposée.

Assez sûrs, les chercheurs trouvèrent une région à 45° à l'ouest de l'excroissance extérieure (celle opposée à Jupiter) où la surface a clairement été déchirée à l'écart. Des bords dentelés qui autrefois s'assemblaient sont maintenant séparés par des bandes de cette glace rouge sombre désormais familière. "Avec ces images, il est évident que la croûte à été écartée et remplie à partir du dessous," dit Belton.

En novembre, Galileo prendra des images de l'excroissance intérieure, celui qui fait face à Jupiter. Si elle montre également des marques étroites vers l'ouest, l'argument d'une peau qui glisse sera renforcé. Immobile, elle ne répondrait pas complètement à la question de ce qui se trouve en dessous. "C'est facile de glisser si vous avez un océan," dit Bob Pappalardo de l'université Brown dans le Rhode Island. Le problème, dit-il, est que de la glace molle et "chaude" pourrait aussi bien faire l'affaire et expliquer également le mouvement des icebergs. Mais elle serait moins vraisemblable pour héberger la vie.


Alors, qu'est-ce ?, de l'eau ou de la glace molle ? Il y a des signes encourageants pour les "brigades de la vie" avec les différentes taches et buttes qui parsèment la surface d'Europe. Dans un article publié dans Nature l'année dernière (vol 391, p 365), Pappalardo et ses collègues suggérèrent que ce sont des signes de mouvements de convection sous la glace. Une source de chaleur profonde, disent-ils, pourrait provoquer la montée de paquets de matériau chaud comme le fait la soupe sur un réchaud. Parfois ce matériau plus chaud fracture la fragile peau de glace pour créer une tache sombre à la surface, et d'autres fois il s'arrête en atteignant la peau, déformant la glace en une butte.

Ce matériau pourrait-il être de l'eau ? Il est tentant de le penser dit
Pappalardo, mais la réponse est probablement non. La convection doit résulter d'une source de chaleur au-dessous, et quoiqu'une telle chaleur pourrait provenir des roches du satellite, d'orifices comme les fumeurs noirs que l'on trouve sur le plancher des océans de la Terre, la roche est très loin en bas. "Il est séduisant de penser à une sorte de cheminée qui pourrait produire un panache d'eau chaude qui parcourrait tout le chemin vers le haut, à travers l'océan d'Europe et ferait fondre la coquille de glace à la surface," dit Pappalardo. "Mais les calculs que nous avons faits montrent que l'eau refroidirait beaucoup trop rapidement. Elle n'aurait pas d'effet en haut" Alors est-ce que de la glace molle en convection pourrait se prolonger jusqu'à la roche du fond, ne laissant aucune place pour un océan liquide ? Non, dit Pappalardo, pour simplement pour la même raison que pour l'eau. Il n'y a pas de possibilité pour que la chaleur de la roche puissent provoquer des panaches de glace en convection jusqu'à la surface.

Structure supposée d'Europe

Il croit que l'arrangement le plus probable est une combinaison de glace et d'eau. A la surface, il y a une fine couche de glace froide et fragile.

En dessous, il y a de la glace molle et plus chaude, et encore en dessous se trouvent presque 100 kilomètres d'océan liquide et chaud. Dans ce scénario, la chaleur de l'eau provoque la convection dans la couche de glace molle du dessus (figure ci-contre).

 

 

 

Quand vous mettez toutes les découvertes de Galileo ensemble, alors les arguments pour un océan sur Europe sont persuasifs-- mais non définitifs. "Je ne vais pas dire 'Oui, à 100 %, nous savons qu'il y a un océan'" dit Pappalardo. "Mais je lui donnerais 60 à 70 % de chance d'exister."

Nous n'aurons pas à attendre trop longtemps. Agitée par la perspective de trouver une vie extraterrestre si près de la Terre, la NASA rassemble des fonds pour une nouvelle mission, prévue pour décoller en 2003. Le principal but de l'orbiteur d'Europe sera de rechercher de l'eau.

Si tout se passe comme prévu, la sonde sera équipée d'un radar pour scruter à travers la glace : Il devrait il y a avoir un signal distinct là où le radar rebondit sur l'interface entre la glace et l'océan. Mais cela ne sera pas facile. Avec 20 ans d'expérience d'utilisation du radar pour voir à travers les couches de glace de l'Antarctique, Don Blankenship de l'Université du Texas à Austin, dirige le comité qui est en train de déterminer si le radar peut résoudre la question d'un océan sur Europe. Les chercheurs parcourent les options plausibles. Si la glace s'est formée rapidement, comme la glace de mer sur Terre, elle peut être pleine d'impuretés. Absorberont-elles le faisceau radar, même à d'aussi basses températures ? Que faire--comme le dit Pappalardo--si la peau de glace froide la plus à l'extérieur recèle une couche de glace chaude en convection, avant que vous n'atteignez l'eau ?

L'équipe a conclu que le radar pourrait voir à travers environ 10 km de glace froide et fragile, mais serait absorbé dès qu'il rencontrerait de la glace chaude. 10 km seront-ils assez ? Très probablement, dit Clark Chapman du Southwest Research Institute à Boulder, au Colorado. Il souligne une disposition curieuse sur les quelques cratères de la surface d'Europe qui ont survécu. Les plus petits--moins de 20 km de diamètre-- ont de parfaites formes de bol, tout à fait semblables aux cratères de notre Lune. Mais ceux de plus de 30 km sont beaucoup plus plats, suggérant que, quoi que ce soit qui heurte la surface, il le fait dans quelque chose de beaucoup plus mou. D'après Chapman, cela implique une couche supérieure de glace cassante de moins de 10 km d'épaisseur.


Le radar pourrait même être capable de voir de la glace plus chaude jusqu'à une couche d'eau en dessous. Bill McKinnon de l'Université Washington à St Louis, calcule que les couches inférieures de glace qui montent par convection seraient plus froides que la glace fixe, et le radar devrait être capable d'utiliser ces parties plus froides comme une sorte de fenêtre.

Et il y aura d'autres instruments pour aider. Un altimètre mesurera les montées et les descentes de la surface d'Europe, de même que les marées causées par le flux et le reflux de Jupiter. Un océan d'eau produirait des changements de l'ordre de 30 m, alors qu'avec de l'eau, il ne serait que d'environ 1m. Il y aura aussi des mesures plus détaillées du champ gravitationnel d'Europe pour permettre à l'équipe de choisir entre les différents modèles.

S'il y a un océan, est-il de façon plausible en train de grouiller d'aliens aquatiques ? L'eau ne suffit pas ; Ils ont probablement besoin de minéraux et de substances organiques dont se nourrir. Là encore, les présages sont favorables. Toutes les régions qui ont récemment émergé à la surface ont tendance à être plus rougeâtres que blanches, un signe clair de la présence d'impuretés. "L'image que vous avez dans la tête est que des comètes et d'autres choses ont plu sur Europe, créant une sorte de neige fondue qui inclue beaucoup d'autres choses en plus de l'eau," dit Chapman. Les impuretés les plus probables sont, dit-il, du sel et des molécules organiques. Et il y a de la chaleur aussi. "Vous avez de l'énergie pour maintenir ça liquide," dit Belton. "Ce sont tous les ingrédients dont vous avez besoin pour commencer une discussion à propos de la vie."

Au milieu de toute l'excitation, des chercheurs lancent une note de prudence. Joseph Kirschvink du Caltech de Pasadena et deux de ses collègues, remarquèrent cette année dans Science (vol 284, p 1631) qu'un sombre océan sur Europe ne devrait pas être particulièrement hospitalier. Quoique des créatures se cramponnant à des orifices des profondeurs des mers, ici sur Terre, s'accommodent avec satisfaction de l'obscurité, elles reçoivent de la surface une pluie constante de composés chimiques oxygénés leur permettant d'entretenir leur activité métabolique. Encapsulée dans la glace, et avec seulement une faible atmosphère d'oxygène, Europe serait beaucoup plus hostile. Même si, les chercheurs concluent qu'il y a des bactéries sur Terre qui doivent être capable de survivre aux sévérités d'Europe.

Et si éventuellement nous réussissons à trouver des aliens dans cet océan extraterrestre, cela changera tout. "Ce sont les satellites de Jupiter, vus en premier par Galilée, qui ont brusquement changé la place de la Terre dans le Système solaire," dit Pappalardo. "Nous n'étions plus le centre de tout--simplement une planète tournant autour du Soleil." Si nous trouvons de la vie dans un océan d'Europe, souligne t-il, la révolution aura effectuée un tour complet. "Nous pensons la Terre comme le centre de la vie, l'unique endroit où la vie existe. Si nous trouvons des preuves de la vie quelque part ailleurs--peut être au même endroit que celui qui a conduit à la révolution copernicienne --cela changerait notre façon de penser à propos de notre place dans l'Univers."



New Scientist, 18 septembre 1999

Trad. JMM

 

Liens :

Sur ce site :

L'hypothétique future mission EGE (Europa Geophysical Explorer) destinée à rechercher ce qui ce cache sous la surface d'Europe

Le satellite Europe et sa planète Jupiter

Autre document consacré à Europe : La patinoire s'épaissit (janvier 2002).

Les missions Galileo et Voyager

Liste d'autres documents relatifs à Jupiter et son système satellitaire

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